Enquête sur une réunion tenue par le Conseil de la Ville de Cornwall le 4 novembre 2023
Paul Dubé
Ombudsman de l’Ontario
Décembre 2024
Plainte
1 Mon Bureau a reçu une plainte à propos d’une séance portant sur le plan stratégique tenue à huis clos sous forme de réunion extraordinaire du Conseil de la Ville de Cornwall (la « Ville ») le 4 novembre 2023. Selon la plainte, certaines des discussions ayant eu lieu lors de cette séance n’entrent dans aucune des exceptions relatives aux réunions publiques prévues par la Loi de 2001 sur les municipalités (la « Loi »)[1].
2 Mon enquête m’a permis de conclure que le Conseil a contrevenu à la Loi le 4 novembre 2023, puisque les discussions de la séance portant sur le plan stratégique n’entrent dans aucune des exceptions relatives aux réunions publiques.
Compétence de l’Ombudsman
3 La Loi dispose que toutes les réunions d’un conseil ou d’un conseil local et de leurs comités doivent être ouvertes au public, sauf si les exceptions prévues par la Loi s’appliquent.
4 Depuis le 1er janvier 2008, la Loi accorde à quiconque le droit de demander une enquête visant à déterminer si une municipalité ou un conseil local a respecté ou non la Loi en se réunissant à huis clos. La Loi fait de l’Ombudsman l’enquêteur par défaut pour les municipalités qui n’ont pas désigné le(la) leur.
5 L’Ombudsman enquête sur les réunions à huis clos de la Ville de Cornwall.
6 Lorsque nous enquêtons sur des plaintes concernant des réunions à huis clos, nous cherchons à savoir si les exigences relatives aux réunions publiques énoncées dans la Loi et le règlement de procédure municipal ont été respectées.
7 Depuis 2008, mon Bureau a enquêté sur des centaines de réunions à huis clos. Pour aider les conseils municipaux, le personnel municipal et le public, nous avons créé un recueil en ligne des cas de réunions publiques. Ce recueil interrogeable vise à permettre aux intéressé(e)s d’accéder facilement aux décisions de l’Ombudsman et à ses interprétations des règles des réunions publiques. Les membres du Conseil et le personnel peuvent consulter ce recueil pour éclairer leurs discussions et leurs décisions afin de déterminer si certaines questions devraient ou pourraient être discutées à huis clos, ainsi que pour examiner les questions liées aux procédures des réunions publiques. Des résumés des décisions antérieures de l’Ombudsman sont consultables dans ce recueil : www.ombudsman.on.ca/digest/recueil-de-cas-reunions-municipales-accueil.
8 L’Ombudsman de l’Ontario est également habilité à réaliser des examens et enquêtes impartiaux concernant des centaines d’organismes publics. Cela comprend les municipalités, les conseils locaux et les sociétés contrôlées par des municipalités ainsi que les organismes gouvernementaux provinciaux, les universités financées par les fonds publics et les conseils scolaires. Il peut aussi examiner les plaintes sur les services fournis par les sociétés d’aide à l’enfance et les titulaires de permis d’établissement, et sur les services en français fournis aux termes de la Loi sur les services en français. Pour en savoir plus sur les organismes relevant de notre Bureau, consultez le www.ombudsman.on.ca/portez-plainte/champ-de-surveillance.
Processus d’enquête
9 Le 19 avril 2024, mon Bureau a informé la Ville de son intention d’enquêter sur la plainte.
10 Les membres de l’équipe de mon Bureau chargée des réunions publiques ont examiné les documents des séances publiques et à huis clos, notamment les ordres du jour, les procès-verbaux, les diaporamas et les notes de la greffière, et écouté l’enregistrement audio des discussions à huis clos. Nous avons parlé au maire et à la greffière, ainsi qu’à la coordonnatrice du plan stratégique, qui agissait comme greffière par intérim au début de la réunion.
11 Mon Bureau a obtenu une pleine coopération pendant son enquête.
Réunion extraordinaire du Conseil du 4 novembre 2023
12 Le 4 novembre 2023, le Conseil s’est réuni au centre d’information d’OPG, à Cornwall, à 9 h. Il a ensuite décidé de tenir une séance à huis clos pour discuter d’un point [Traduction] : « séance de planification stratégique ».
13 Le Conseil a invoqué les sept exceptions suivantes prévues au paragraphe 239(2) de la Loi pour se réunir à huis clos : sécurité des biens, renseignements privés, acquisition ou disposition d’un bien-fonds, relations de travail ou négociations avec les employé(e)s, litiges actuels ou éventuels, renseignements communiqués à titre confidentiel par un autre palier de gouvernement, et projets ou instructions faisant l’objet de négociations.
14 Le Conseil a aussi invoqué l’obligation de se réunir à huis clos par exception prévue à l’alinéa 239(3)a) de la Loi lorsqu’une demande est présentée en vertu de la Loi sur l’accès à l’information municipale et la protection de la vie privée (LAIMPVP).
15 La greffière nous a dit avoir choisi les exceptions aux règles des réunions publiques d’après les réponses à un sondage sur les priorités stratégiques mené par le Conseil avant la rédaction de l’ordre du jour de la réunion, puisqu’elle s’attendait à ce que les discussions portent sur les points abordés aux séances à huis clos antérieures.
16 Elle nous a expliqué que l’objectif de la séance à huis clos était de discuter ouvertement d’idées sans crainte de révéler par mégarde des renseignements confidentiels.
17 Selon l’enregistrement de la réunion, qui dure près de six heures, les conseiller(ère)s ont entrepris diverses activités en vue de la production du plan stratégique de la Ville. Ils(elles) ont commencé par recenser les réussites, les problèmes et les leçons tirées des quatre dernières années, puis ont participé à un exercice structuré sur les forces, faiblesses, possibilités et menaces (FFPM) en petits groupes. Ensuite, en plénière, il y a eu partage des idées et comparaison des réponses avec celles du personnel municipal. Entre autres sujets, il a aussi été brièvement question des conditions de travail et du recrutement à la Ville.
18 Après le dîner, le personnel de la Ville et les conseiller(ère)s ont discuté des résultats de l’exercice sur les FFPM. Pendant cette discussion, une personne du Conseil a demandé au personnel d’analyser l’acquisition d’un bien-fonds précis en vue d’y construire des logements ou à d’autres fins. Le personnel a répondu avoir déjà communiqué avec le(la) propriétaire, mais que le prix demandé était trop élevé pour la Ville. Une autre personne du Conseil a indiqué qu’il faudrait que la Ville possède des terrains sur le bord de l’eau si elle veut aller de l’avant avec certains de ses autres projets d’aménagement.
19 Ensuite, les personnes présentes ont de nouveau été divisées en petits groupes afin de discuter de leurs plans pour la Ville dans les quatre prochaines années. Les résultats ont été communiqués en plénière, et l’ordre des priorités a été établi. Après, les énoncés de vision et de mission en vigueur ont été lus, et les personnes présentes ont proposé des modifications pour les rendre plus inclusifs.
20 À la fin de la séance à huis clos, le Conseil a voté, à 16 h 30, l’ajournement de la réunion.
21 À la réunion du Conseil du 8 janvier 2024, le directeur général (DG) de la Ville a transmis un rapport public traitant du plan stratégique et de ses objectifs. Le Conseil a adopté en séance publique une résolution pour approuver ce rapport et adopter les stratégies présentées.
Analyse
22 La Loi de 2001 sur les municipalités dispose que toutes les réunions d’un conseil doivent être publiques, sauf si la question à étudier relève d’une des exceptions prévues à l’article 239. Aucune de ces exceptions ne vise expressément un plan stratégique ou une séance de remue-méninges. Beaucoup d’exceptions différentes ont plutôt été indiquées dans la résolution adoptée pour le retrait à huis clos parce que la greffière croyait que divers sujets seraient abordés, vu l’information transmise avant la réunion.
23 Il arrive que des aspects d’un plan stratégique puissent nécessiter un huis clos. Dans un rapport au Canton de Russell, mon Bureau a enquêté sur une séance à huis clos durant laquelle les conseiller(ère)s avaient appris les principes fondamentaux et le vocabulaire du processus de planification stratégique pour savoir comment préparer un plan stratégique en séance publique[2]. Dans cette affaire, mon Bureau avait déterminé qu’il n’y avait eu aucune décision ni discussion sur des priorités précises ou un plan en particulier pendant le huis clos, donc que les discussions entraient dans l’exception relative aux règles des réunions publiques pour les séances d’éducation ou de formation.
24 En l’espèce, le Conseil de la Ville de Cornwall a discuté du fond de son plan stratégique; il n’était pas question d’apprendre comment tenir un processus de planification stratégique. La greffière nous a dit qu’aucune décision n’avait été prise durant le huis clos. Toutefois, les conseiller(ère)s avaient discuté des stratégies ayant servi de base à un rapport adopté par le Conseil le 8 janvier 2024 et pris des décisions à ce sujet. Aucune discussion de fond sur les stratégies n’a eu lieu à la réunion du 8 janvier 2024.
25 Bien que la Ville ait invoqué sept exceptions discrétionnaires et une exception obligatoire aux règles des réunions publiques, la greffière nous a dit que certaines de ces exceptions ne s’appliquaient pas, notamment celle sur les renseignements communiqués à titre confidentiel par un autre palier de gouvernement et celle pour une demande présentée en vertu de la LAIMPVP.
26 Notre analyse de l’enregistrement de la réunion ne nous a pas permis de relever de discussions entrant dans les exceptions de sécurité des biens, de renseignements privés, de litiges actuels ou éventuels, de projets et instructions dans le cadre d’une négociation, de renseignements communiqués à titre confidentiel par un autre palier de gouvernement ou de demande présentée en vertu de la LAIMPVP. Toutefois, nous estimons que de petites portions des discussions auraient pu faire l’objet des autres exceptions invoquées.
Applicabilité de l’exception relative à l’acquisition ou la disposition d’un bien-fonds
27 À divers moments des discussions, les conseiller(ère)s ont parlé de la possibilité d’acquérir un bien-fonds pour concrétiser les objectifs stratégiques de la Ville. L’un(e) d’eux(elles) a demandé au personnel d’analyser l’acquisition d’un terrain précis à l’intérieur des terres en vue d’y construire des logements ou à d’autres fins. Toutefois, le personnel a expliqué que le bien-fonds avait déjà été envisagé, mais rejeté. Un(e) autre membre du Conseil a précisé qu’il faudrait que la Ville acquière un terrain sur le bord de l’eau avant de pouvoir entreprendre certains de ses projets d’aménagement.
28 L’alinéa 239(2)c) de la Loi autorise la tenue de discussions à huis clos s’il y est question de l’acquisition ou de la disposition projetée ou en cours d’un bien-fonds. Son principal objectif est de protéger la position de négociation de la municipalité durant les négociations foncières en permettant au Conseil de discuter de la vente, de la location-bail ou de l’achat d’un terrain en privé. L’exception ne s’applique pas aux discussions sur des transactions foncières qui pourraient avoir lieu ou non à l’avenir. Les discussions doivent porter sur une transaction foncière concrète, qui est en cours ou qui a été proposée[3].
29 L’aménagement riverain est une priorité de la Ville depuis quelques années. Dans son plan du secteur riverain de 2019 concernant cette question, il est notamment recommandé d’instaurer un groupe de travail chargé d’enquêter sur l’acquisition de terrains fédéraux excédentaires situés au bord de l’eau[4]. Les commentaires formulés par les conseiller(ère)s durant le huis clos s’inscrivaient dans cette stratégie, comprenaient de l’information générale déjà connue du public et n’auraient eu aucune conséquence sur la position de négociation de la Ville dans d’éventuelles transactions. En outre, le terrain précis à l’intérieur des terres mentionné par le(la) conseiller(ère) avait déjà été envisagé, mais avait été rejeté par le personnel municipal. Puisque la Ville n’allait pas acquérir ce terrain, il n’y avait aucune position de négociation à protéger. Par conséquent, les discussions sur sa potentielle acquisition n’entrent pas dans cette exception aux règles des réunions publiques, ni dans aucune autre d’ailleurs.
Applicabilité de l’exception relative aux relations de travail et aux négociations avec les employé(e)s
30 Durant la table ronde du matin, les conseiller(ère)s ont discuté des difficultés de dotation et de maintien en poste. Ils(elles) ont dit qu’une majoration de la rémunération et la possibilité de travailler à distance, dans une certaine mesure, pourraient aider à attirer les candidatures.
31 L’alinéa 239(2)d) de la Loi prévoit qu’une réunion peut se tenir à huis clos s’il est question de relations de travail ou de négociations avec les employé(e)s. Cette exception vise à protéger les discussions ayant trait aux relations entre une municipalité et ses employé(e)s. L’expression « relations de travail » est interprétée dans un sens large pour inclure les questions touchant du personnel syndiqué ou non et la rémunération hors contrat d’emploi habituel[5].
32 Mon Bureau a déjà statué que la communication d’information sans renseignements spécifiques n’entre pas dans l’exception relative aux relations de travail et aux négociations avec les employé(e)s[6]. En l’espèce, seuls quelques commentaires ont été faits sur les conditions de travail et le recrutement à la Ville. Par conséquent, cette portion de la discussion à huis clos est exclue de l’exception relative aux relations de travail.
Avis
33 Mon enquête m’a permis de conclure que le Conseil de la Ville de Cornwall a contrevenu à la Loi de 2001 sur les municipalités à sa réunion du 4 novembre 2023 lorsqu’il a discuté à huis clos de questions ne relevant pas d’exceptions aux règles des réunions publiques.
Recommandations
34 Je formule les recommandations suivantes pour aider la Ville de Cornwall à remplir ses obligations aux termes de la Loi et à améliorer la transparence de ses réunions :
Recommandation 1
Les membres du Conseil de la Ville de Cornwall devraient faire preuve de vigilance dans l’exercice de leur obligation individuelle et collective de s’assurer que la Ville remplit ses responsabilités prévues par la Loi de 2001 sur les municipalités.
Recommandation 2
Le Conseil de la Ville de Cornwall devrait veiller à ne discuter à huis clos d’aucun sujet qui ne relève pas clairement de l’une des exceptions légales aux exigences concernant les réunions publiques.
Recommandation 3
Le Conseil et le personnel de la Ville de Cornwall devraient organiser et tenir les réunions de manière à discuter surtout des points à l’ordre du jour, si possible.
Recommandation 4
Le Conseil de la Ville de Cornwall devrait vérifier qu’il n’invoque que les exceptions aux règles des réunions publiques qui s’appliquent à ses discussions à huis clos.
Rapport
35 Le Conseil et personnel de la Ville de Cornwall ont pu examiner une version préliminaire du présent rapport et la commenter pour mon Bureau. Le présent rapport définitif a été rédigé à la lumière de tous les commentaires que nous avons reçus.
36 Le présent rapport sera publié sur le site Web de mon Bureau et devrait être rendu public par la Ville de Cornwall. Conformément au paragraphe 239.2(12) de la Loi de 2001 sur les municipalités, le Conseil doit adopter une résolution indiquant comment il entend y donner suite.
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Paul Dubé
Ombudsman de l’Ontario
[1] L.O. 2001, chap. 25.
[2] Ombudsman de l'Ontario, Enquête sur des réunions à huis clos du Conseil du Canton de Russell le 10 août 2015, (janvier 2016), paragraphe 33, en ligne.
[3] Ombudsman de l'Ontario, Enquête sur les réunions à huis clos tenues par le conseil de la Ville de Fort Erie les 4 et 6 décembre 2017, (avril 2018), paragraphe 31, en ligne.
[4] Ville de Cornwall, Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletWaterfront Plan (juillet 2019), page 59, en ligne.
[5] Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletOntario (Minister of Health and Long Term Care) v. Michinson, 2003 CanLII 16894 (ON CA) en ligne.
[6] Ombudsman de l'Ontario, Enquête sur une plainte à propos d’une réunion tenue par le Conseil de la Ville de Grimsby le 2 mai 2016, (novembre 2016), au paragraphe 43, en ligne.